Tapie : les perquisitions soulignent le rôle clef de Guéant




Selon des informations concordantes recueillies par Mediapart, les nombreuses perquisitions auxquelles la Brigade financière a procédé ces derniers jours dans le cadre de l’affaire Tapie ont été très fructueuses. Et si, parmi les très nombreuses pièces qui ont été saisies, beaucoup ont été placées sous scellés jusqu’à ce que le juge des libertés décide si elles peuvent être ou non versées au dossier, certaines d’entre elles sont éclairantes. Dans le lot figurent en particulier des courriers ou e-mails que Bernard Tapie ou son conseil, Me Maurice Lantourne, ont adressés à Claude Guéant, à l’époque secrétaire général de l’Élysée, et qui confirmeraient que ce dernier a joué un rôle central.

Comme on le sait, le parquet de Paris a ouvert en septembre 2012 une information judiciaire pour « usage abusif de pouvoirs sociaux et recel de ce délit » afin de vérifier si l’arbitrage, qui a profité à Bernard Tapie en juillet 2008 et qui a fait sa fortune, n’a pas en réalité donné lieu à un vaste détournement de fonds publics. 

C’est dans le cadre de cette dernière procédure que les trois juges d’instruction du pôle financier parisien qui ont été chargés de l’affaire, Serge Tournaire, Guillaume Daïeff et Claire Thépaut, ont décidé de faire procéder à des perquisitions, après avoir au préalable obtenu, mercredi 23 janvier, l’extension de leur saisine aux faits de « détournement de fonds publics » et de « faux ».

À quelques jours d’intervalle, ce sont donc trois rafales de perquisitions qui ont eu lieu. Jeudi 24 janvier, les domiciles de Bernard Tapie et de Stéphane Richard, l’actuel patron de France Télécom et ancien directeur de cabinet de Christine Lagarde au ministère des finances (lire Guéant est impliqué dans le scandale Tapie), ont fait l’objet de premières perquisitions.

Puis, le lendemain, vendredi 25 janvier, ce sont les bureaux de plusieurs avocats qui ont fait à leur tour, vendredi, l’objet de perquisitions (lire Nouvelles perquisitions dans l’affaire Tapie). 

L’avocat du Consortium de réalisations (CDR), Me Gilles August, qui a aussi effectué des missions de conseil pour Christine Lagarde et qui se trouve être par ailleurs actuellement l’avocat du ministre socialiste du budget Jérôme Cahuzac dans l’affaire de son compte non-déclaré à Genève, a ainsi été concerné. Cela a aussi été le cas de l’avocat de Bernard Tapie, Me Maurice Lantourne, dont les bureaux ont été perquisitionnés au cours de cette journée, perquisition qui s’est prolongée brièvement à son domicile.

Et enfin, mardi 29 janvier, ce sont les domiciles des trois arbitres ayant rendu une sentence allouant 403 millions d’euros de dédommagement à l’ex-homme d’affaires qui ont été à leur tour perquisitionnés : l’avocat Jean-Denis Bredin, le magistrat à la retraite Pierre Estoup et l’ancien président du Conseil constitutionnel, Pierre Mazeaud.

Pour certaines de ces perquisitions, Mediapart n’est pas parvenu à obtenir d’indications sur leurs résultats. Mais, comme l’a révélé Le Point, nous avons obtenu confirmation que la perquisition dans les bureaux de Me Maurice Lantourne aurait permis de mettre au jour des correspondances adressées par l’avocat ou par Bernard Tapie lui-même à Claude Guéant.

Concrètement, quand une perquisition a lieu dans les bureaux d’un avocat, la loi prévoit qu’un représentant de l’Ordre y assiste, pour veiller au respect du secret professionnel, qui constitue l’un des droits fondamentaux de la défense. Dans le cas présent, c’est donc un représentant du bâtonnier de Paris, Me Michel Carbon de Séze, qui a assisté à la perquisition dans les bureaux de Me Lantourne.

Voilà quelques années, la jurisprudence permettait à la police de saisir presque tous les documents. Désormais, elle est devenue beaucoup plus pointilleuse et protectrice. Dans le cas présent, selon des informations de très bonnes sources, il semble donc que la police ait saisi environ soixante-dix documents aux bureaux de l’avocat, soit des documents physiques (notes de travail, correspondances), soit des documents électroniques (notes, e-mails…). Sur cette quantité, une moitié de ces documents environ ont été très vite rendus à l’avocat, une rapide observation permettant d’établir qu’ils ne présentaient pas d’intérêt. Mais, sur la trentaine de documents dignes d’intérêt qui ont été trouvés, Me Michel Carbon de Séze a fait valoir, pour beaucoup d’entre eux, qu’ils pouvaient relever du secret professionnel, qui couvre par exemple les correspondances entre Bernard Tapie et son avocat.

Dans ces cas litigieux, les documents concernés ont donc été placés sous scellés. Et si l’ordinateur de Bernard Tapie a été copié sur une clef, celui de son conseil, Me Lantourne, a été examiné de manière plus précautionneuse : pour chaque document ou chaque mail trouvé, le représentant de l’Ordre a fait savoir s’il estimait qu’il était ou non couvert par le secret professionnel.

Et c’est donc un juge des libertés qui devra dire si ce secret professionnel devra s’imposer ou si, au contraire, les pièces concernées pourront être versées à la procédure. La loi prévoit que le juge des libertés peut outrepasser le secret professionnel s’il s’avère que ces pièces révèlent un délit. Dans le cas présent, le juge des libertés devra aussi trancher le fait de savoir si certaines pièces provenant de la procédure controversée de l’arbitrage pourront être utilisées par les juges d’instruction, l’arbitrage étant couvert par une clause… de confidentialité. Avocat pénaliste au barreau de Paris, Me Vincent Nioré, est l’un des spécialistes de cette jurisprudence encadrant les perquisitions chez un avocat : on trouvera ici nombre de ses avis sur la question ; on peut aussi, du même auteur, consulter cet article.

Quoi qu’il en soit, selon de bonnes sources, Bernard Tapie aurait conseillé de très longue date à son conseil de mettre de l’ordre dans ses archives, ce qu’il n’aurait pas fait. L’ex-homme d’affaires aurait prodigué ce conseil à son avocat avec d’autant plus d’insistance qu’il avait pris l’habitude ces dernières années de venir périodiquement dans ses bureaux pour adresser des notes ou des correspondances à divers responsables politiques et, au premier chef, à Claude Guéant. Ce sont ces documents qui auraient été mis au jour par cette perquisition et dont le juge des libertés devra dire s’ils peuvent être versés à la procédure.

Le Point apporte cette précision sur des courriers qui auraient été écrits par Me Maurice Lantourne : « Dans ces lettres, l’avocat, selon nos informations, se serait plaint à plusieurs reprises au nom de son client du peu d’entrain de l’ancien ministre du Budget Éric Woerth à recourir à un arbitrage dans le dossier Tapie-Crédit lyonnais. » Toutefois, cette information n’est pas du tout corroborée par notre enquête. Car dans l’affaire Tapie, pour Bercy, c’est la ministre des finances Christine Lagarde et son directeur de cabinet, Stéphane Richard, qui ont été constamment à la manœuvre, Éric Woerth ne jouant, selon nos informations, strictement aucun rôle, sauf pour le volet fiscal de l’affaire.

Mais, contrairement aux dénégations de Christine Lagarde, qui a toujours prétendu n’avoir reçu aucune instruction, c’est surtout à l’Élysée que tout s’est décidé. Avant comme après l’arbitrage, Bernard Tapie a fréquemment été reçu par Nicolas Sarkozy, et plus encore par son directeur de cabinet.
Claude GuéantClaude Guéant© Reuters

Dans une enquête récente, nous en avons apporté une nouvelle confirmation : nous avons révélé que nous détenions la preuve qu’en mai 2009, le secrétaire général de l’Élysée a reçu Bernard Tapie et interféré dans la négociation fiscale que l’ex-homme d’affaires avait avec le directeur de cabinet d’Éric Woerth et qui ne prenait pas la tournure qu’il souhaitait – une négociation qui a joué un rôle majeur dans la constitution de la fortune de l’homme d’affaires (lire Guéant est impliqué dans le scandale Tapie).

Or c’est, selon nos informations, ce que viendraient confirmer les pièces saisies chez Me Lantourne et placées provisoirement sous scellés : elles viendraient souligner que Claude Guéant, bras droit de Nicolas Sarkozy, a été, du début jusqu’à la fin, au cœur de l’affaire et en connaît tous les secrets. Des secrets que la justice est peut-être enfin en passe de percer…

Interrogé par Le Point, Claude Guéant a dit, lui, n’avoir « aucun souvenir » de ces courrier

Source : mediapart

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