Election du pape: Quel a été le rôle de Jorge Mario Bergoglio durant la dictature argentine?



Une photo de Jorge Bergoglio, le 3 mars 2013, avant qu'il ne devienne le pape François 1er. L.THIEBERGER/AP/SIPA

POLEMIQUE - Des médias et experts pointent son rôle trouble durant cette période noire de l'histoire argentine...

A peine élu que déjà, des voix se font entendre pour rappeler un passé gênant. Le pape François, décrit comme le «pape des pauvres», est réputé pour prendre des positions politiques, notamment contre le néo-libéralisme ou le mariage homosexuel défendu par la présidente argentine Cristina Kirchner. Mais ce portrait forcément laudateur recèle quelques zones d’ombres que certains médias et experts ont relevé dès mercredi, évoquant un passé trouble de Jorge Mario Bergoglio durant la période de la dictature militaire entre 1976 et 1983.

Le Guardian a rappelé qu’un livre, sorti en 2005 en Argentine, El silencio (Le silence), accuse le nouveau pape d’avoir retiré sa protection à deux prêtres et donné son feu vert en 1976 à l’armée pour l’enlèvement de ces deux jésuites qui travaillaient dans les bidonvilles, une activité mal vue par le pouvoir à l’époque. C’est l’un de ces deux prêtres, qui a survécu, qui tenait ces accusations. Il est mort en 2000 et Jorge Mario Bergoglio, qui parle de «diffamation», a toujours clamé son innocence dans ce dossier. Il a même expliqué qu’au contraire, il avait caché des dissidents politiques et ainsi pu les sauver des escadrons de la mort.

Sa «soutane est entachée symboliquement»
Mais, même en Argentine, certains restent persuadé qu’il a joué un rôle trouble. «Bergoglio est un homme de pouvoir et il sait comment se positionner parmi les puissants. J’ai encore beaucoup de doutes sur son rôle concernant les jésuites qui ont disparu sous la dictature», a témoigné mercredi à une radio argentine Eduardo de la Serna, représentant d’un groupe de prêtres de gauche. L’agence de presse Reuters a rappelé des propos de Fortunato Mallimaci, l'ancien doyen des sciences sociales à l'Université de Buenos Aires, selon lequel «l'histoire le [Jorge Mario Bergoglio, ndlr] condamne». «Il s'est opposé à toute innovation dans l'Eglise et, surtout, pendant la dictature, il s’est montré proche des militaires», a-t-il ajouté.

En France, Christian Terasse, le rédacteur en chef de la revue Golias, hebdomadaire catholique progressiste, est revenu longuement sur France info sur le rôle qu’aurait tenu le nouveau pape durant la dictature de Videla. «Cet homme n’a pas eu les paroles, les attitudes qui convenaient pour protéger certains de ses confrères engagés contre la dictature militaire de Videla. (…) J’ai un document qui montre que l’Eglise d’Argentine [dont le nouveau pape était l’un des responsables, ndlr] se réunissait avec la dictature pour consigner un certain nombre de dispositions par rapport à des opposants catholiques jugés marxistes parce que subversifs par rapport à l’ordre chrétien qui soutenait le général Videla». Pour ce spécialiste, cela ne fait aucun doute, «la soutane blanche de Bergoglio est entachée symboliquement: à la fois au niveau de son positionnement personnel qui n’a pas été très courageux parce qu’il n’a pas protégé certains de ses confrères mais aussi de ce qu’il représente du rôle politique qu’a joué l’église d’Argentine dans sa complicité avec la dictature».

«Il a fait ce qu'il a pu, pas plus et pas moins»
L’Eglise argentine, dont le nouveau pape était l’un des responsables, «est l’une des plus contestées d'Amérique latine pour sa passivité, voire sa complicité, à l'égard de la dernière dictature militaire de 1976-1983», a expliqué à Sipa le spécialiste Paulo Paranagua. «Le national-catholicisme était l'idéologie dominante des forces armées, qui comptaient avec la bénédiction de la hiérarchie de l'Église. Contrairement aux Églises du Brésil et du Chili, qui ont joué un rôle capital dans la défense des victimes de la répression et dans la lutte pour les libertés, le clergé argentin a montré une indifférence coupable face aux horreurs commises. Les religieux et religieuses solidaires des Mères de la place de Mai n'étaient pas soutenus par leurs supérieurs, et ont payé parfois de leur vie leur fraternité», analyse-t-il. L'Eglise argentine a même fait un mea culpa en 2000 pour ne pas avoir protégé ses fidèles durant la dictature.

Dès mercredi, une photographie en noir et blanc, montrant Videla recevoir l'hostie d'un prêtre présenté comme Bregoglio a circulé sur les réseaux sociaux, notamment en Amérique Latine, jusqu'aux pages de certains médias de gauche accréditant la supposée proximité entre le nouveau pape et la dictature argentine. Sauf que le religieux est de dos donc difficilement identifiable et que d'après La Nacion, il s'agit en fait de Monseigneur Octavio Nicolas Derisi, mort en 2002. Odon Vallet, historien des religions, a tenu a contrebalancer ces éléments. «S'il avait été à fond contre la dictature et s'il l'avait dit, il ne serait plus en vie, il serait au fond de l'océan. Il n'a pas été non plus complice de la dictature. Il a fait ce qu'il a pu, pas plus et pas moins», a-t-il insisté.

De son côté, l'Association des Mères de la Place de Mai - dont les enfants ont disparu durant la dictature - a  rappelé dans un communiqué que l'Eglise n'avait jamais réagi à l'assassinat de 150 prêtres argentins sous la dictature, contrairement aux «Mères». «Nous continuons d'avoir des relations avec les prêtres du Tiers-Monde, quant à ce pape élu mercredi, nous n'avons qu'un seul mot à dire: Amen», ironisent-elles.

Source : 20 minutes

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