Une boulangerie qui appartient à ses clients


Se regrouper avec des voisins pour financer un service utile au quartier ? S’auto-organiser pour ouvrir ensemble un magasin ? Des citoyens qui s’unissent pour prendre un rôle actif dans le renouvellement de leur quartier en créant même du travail à échelle locale ?

Pour approfondir ces questions, j’ai décidé de consacrer un peu de mon temps à discuter avec des personnes qui se sont déjà mises en route pour créer des tels projets. J’avais envie de comprendre leur motivation et la nature des projets qui ont été mis en place.

Ma prémiere rencontre m’a amené en Ecosse (par Skype, cette fois-ci). A Dunbar, une petite ville de 7.000 habitants située à 50 kilomètres au sud-est d’Edimbourg, un groupe des citoyens engagés a ouvert sa propre entreprise locale, la Dunbar Community Bakery.  Un des aspects originaux de ce projet est lié sa forme coopérative: elle appartient à 690 personnes qui – en grande majorité – sont ses propres clients.

La boulangerie, qui se compose d’un atelier de production, d’un lieu de vente et d’un petit café, a ouvert ses portes il y a trois ans. Elle se trouve au plein centre de Dunbar et est le seul endroit ou l’on peut acheter du pain artisanal dans la ville. Le pain et les autres délices vendus sont bien plus chers que ce qu’on peut trouver au supermarché mais la production artisanale a attiré l’attention locale dès le début – et se vend bien.

« Eco-freaks, écologistes, hippies porteurs de sandales »

Sustaining Dunbar, l’Initiative de Transition locale est à l’initiation du projet. Philip Revell, citoyen engagé et membre du groupe m’explique qu’au début leur initiative n’était pas prise au sérieux. Ils étaient plutôt considérés comme une bande des hippies ou éco-freaks. « Cependant notre ambition était de montrer que l’objectif du groupe était bien plus large que les thématiques habituelles des groupes écologiques: Il s’agit de créer une économie locale plus durable », explique-t-il.


Le projet de boulangerie était une première, pour deux raisons principales. Tout d’abord, de nombreux magasins au centre de Dunbar avaient fermé à cause de l’ouverture d’un nouveau supermarché à l’entrée de la ville. Ensuite, la boulangerie du centre ville avait également annoncé sa fermeture. La raison était moins de nature commerciale, mais lié au fait que le boulanger approchant l’âge de la retraite ne trouvait personne pour reprendre l’affaire.

C’est ainsi que Sustaining Dunbar a décidé de se lancer dans l’aventure de la créaion d’une boulangerie, avec pour vocation de produire du pain de haute qualité, mais aussi de créer de l’emploi à l’échelle locale.

L’idée initiale était d’acheter la boulangerie pour y créer un espace de production, de vente, de formation et d’échange. « Il s’agissait là de belles et grandes idées, mais nous n’avions pas de ressources financières pour un tel projet ambitieux et cher » résume Philip. Néanmoins, l’idée a évolué, et le groupe a pu obtenir assez rapidement une subvention de la loterie qui leur a permis de payer un consultant. Peu de temps après, ils avaient en main une étude de marché et de faisabilité – et une première version du business plan.

Statut légal: une coopérative appartenant à des citoyens

Il était clair dès le début que la boulangerie devrait devenir une société coopérative – une coopérative des consommateurs. Ce statut juridique permettait au gens de facilement participer au projet mais également de collecter assez facilement des fonds propres pour le démarrage du projet. Pour devenir coopérateur il fallait acheter au moins une part à un abordable. Pour 20 livres sterling (environ 25€), on pouvait devenir co-propriétaire de la coopérative. Peu importe le nombre des parts souscrites, chaque membre n’a qu’un vote – un homme, un vote.

Ensuite, une lettre d’information aux voisins a été rédigée avec un appel de soutien financier au projet. « A peine quelques jours plus tard, les premiers chèques arrivaient dans ma boite aux lettres » se souvient Philip. Trois ou quatre mois plus tard, la coopérative comptait déjà une bonne centaine des membres et le montant total versé dépassait 20 mille livres sterling.

L’appel avait également attiré un nouveau type de personnes : alors que les initiateurs du projet étaient surtout motivés par les enjeux globaux comme le pic pétrolier ou le changement climatique, les nouveaux alliés étaient plutôt attirés par l’idée de faire revivre le centre de Dunbar avec un approche fort novatrice. Parmi eux, il y avait aussi des gens avec des savoir-faire complémentaires – des hommes d’affaires, des spécialistes en marketing et des journalistes. Un véritable comité de pilotage a été établi. Sa présidence a été occupée par une femme qui avait avec un grande expérience commerciale et de bons contacts avec les grandes entreprises et les institutions gouvernementales.

Un lieu… et des questions d’argent

L’idée initiale était de reprendre l’ancienne boulangerie au centre de Dunbar. Ses propriétaires avaient essayé de la vendre pendant plusieurs années. Comme le voulut le destin, peu de temps avant la finalisation du business plan, la famille avait trouvé un acheteur pour une partie de la propriété. Du coup, le projet de boulangerie dut chercher des lieux alternatifs.

Ce n’était cependant pas facile de trouver le bon endroit permettant à la fois la production et la vente sur place. Finalement, un lieu intéressant fut découvert – et une des personnes qui soutenait le projet décidait de l’acheter lui-même pour ensuite le louer à la coopérative. Pour lui c’était un investissement pour assurer une partie de sa retraite; pour la coopérative c’était une grande chance «car les décisions d’investissement sont un peu compliquées si on dépend de subventions », résume un des membres de la coopérative. Un architecte a été embauché pour réaliser l’intérieur, le mobilier a été acheté – les machines, même d’occasion restaient assez chères.

Enfin, en octobre 2011, la Dunbar Community Bakery a pu ouvrir ses portes dans un petit local commercial en plein centre ville avec six places pour consommer à l’intérieur (plus aurait été difficile pour des raisons d’autorisations) et le comptoir de vente. La production se trouve à l’arriere du magasin.
La loterie avait aidé au lancement du projet. Néanmoins, la base financière du projet était principalement constituée de fonds propres collectés à travers les parts de la coopérative, qui montent aujourd’hui à plus que 50.000 £, et une subvention régionale équivalent à ce montant. Un prêt bancaire – notamment pour des fonds de roulement – a complété ce financement.

Un des plus grands défis était le manque de savoir-faire boulanger; ces connaissances se sont perdues en Ecosse

Un autre véritable challenge était lié au personnel. Il a été prévu de recruter les boulangers localement. Mais trouver des artisans locaux s’est avéré un défi énorme. C’est un savoir faire qui n’existe plus en Ecosse car les personnes apprennent surtout la production industrielle. « On était naïfs en assumant qu’on pourrait engager des boulangers industriels et les former dans la production du pain artisanal, » explique Philip Revell « mais ça ne fonctionnait pas ». La gestion ne fonctionnait pas non plus. Au cours des premiers mois de production, la boulangerie devait faire face à une rotation assez élevée du personnel. « Ce n’était pas facile, au lancement de l’aventure, car on n’obtenait pas le produit que l’on souhaitait, et en même temps l’intérêt des clients était énorme. »

Un membre du comité de pilotage avait accepté de prendre en charge la gestion de la boulangerie pour un certain temps. Elle est finalement restée presque un an – pendant cette période, un artisan boulanger britannique a été engagé et l’affaire a finalement pu être stabilisée progressivement. Ross, le nouveau boulanger était spécialiste en pâtisserie mais produisait également du bon pain et formait aussi les stagiaires.

Aujourd’hui la boulangerie emploie l’équivalent de huit temps plein – un maître boulanger, deux autres boulangers expérimentés, deux stagiaires et enfin des vendeuses au magasin. « Dés le début, nous avons décidé de ne pas travailler avec des bénévoles dans la boulangerie, car une de nos missions était la création de postes de travail locaux, notamment pour les jeunes. » explique un des administrateurs. « Il nous a fallu petit moment pour trouver le bon équilibre entre les boulangers professionnels et les apprentis ». Entretemps, l’équilibre a été trouvé.

Une success story locale

La boulangerie qui a ouvert ses portes il y a deux ans et demi est devenue une véritable réussite. La grande majorité des 690 coopérateurs vient de la région. Mais il y a également des coopérateurs qui viennent de plus loin, même de l’étranger. Aujourd’hui, les parts de la coopérative ne sont pas rémunérées mais chaque coopérateur bénéficie d’une réduction de prix de 10% sur le prix de vente. 

L’année passée, un équivalent de 8.000 livres sterling (9.500 €) en réduction était distribuée aux coopérateurs. Néanmoins, le pain est toujours plus cher que dans un supermarché. Mais les gens aiment l’idée d’être propriétaires de leur boulangerie car elle leur permet d’acheter localement du pain de qualité. Le projet a gagné plusieurs prix pour son approche innovante et également pour la qualité de ses produits. Espérons qu’elle va servir de modèle pour d’autres boulangeries et magasins lancés, soutenus et gérés par les citoyens !



Ça ne vous donne pas envie?

Plus d’infos sur http://thebakerydunbar.co.uk/

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